Crise sanitaire : révélateur ou inhibiteur de mobilité professionnelle ?

Temps de lecture : 7 min
Mobilités professionnelles

Nous avons fermé les portes… mais ouvert des fenêtres.
Nous avons exploré nos intérieurs, repensé notre aménagement, envisagé de tomber des cloisons – ou d’ériger des barricades. De sauter le pas.
Et si mon métier n’avait aucun sens ? Et si je n’étais pas professionnellement indispensable ? Et si ma vie était ailleurs ?

2 mois et demi d’introspection plus tard, vous y êtes : vous allez la tomber, cette cloison. Et ouvrir votre boulangerie !

 

Une quête de sens dans le travail

Trêve de plaisanterie. Cette quête de sens dans le travail, nous l’observions déjà ces dernières années. Rien de nouveau, donc, sous le soleil effronté de ce printemps 2020. On a d’ailleurs tous un ex collègue, un cousin ou un beau-frère qui a changé de vie. Passé son CAP de boulangerie ou de coiffure. Décidé de devenir pêcheur à pied dans le Morbihan. Certains même n’ont pas attendu d’intégrer le marché du travail au sortir de longues études pour envisager une reconversion (à lire ici) !

En 2019, près de 4 cadres sur 10 avaient déjà effectué une reconversion et plus de la moitié étaient séduits par l’idée de changer d’emploi. Ils étaient quand-même déjà 70% à penser que leur vie professionnelle manquait de sens et d’intérêt et 53% envisageaient alors de tomber la cloison  se lancer dans une reconversion dans les 3 années à venir. Timing parfait, messieurs dames, surtout quand on sait également que 30% des interrogés avaient besoin d’un petit coup de pouce du destin pour oser franchir le cap… (source APEC)

Une étude Hellowork est venue nous éclairer, début mai, sur quelques grandes tendances de la mobilité des salariés durant le confinement et nous révélait, par exemple, que 86 % des personnes interrogées ont maintenu leur quête d’opportunités, 10 % attendaient d’être « libérés-délivrés » et que seuls 4% ont remisé leur échafaudage et repoussé les « travaux » à plus tard. 29 % des sondés ont même intensifié leurs recherches. Les principaux arguments cités sont, en pole position, « une prise de conscience de nouvelles envies », devant « un temps disponible qui a augmenté pour mener à bien cette recherche» (27%), et « une vision négative de la gestion du confinement par leur entreprise » (20%). Cette enquête évalue par ailleurs à 51% la part d’actifs ayant répondu à au moins une offre durant le confinement.

« De mon point de vue, la tendance à la quête de sens et d’éthique au travail était déjà bien présente avant le confinement. On a d’ailleurs orienté nos ateliers de fin 2019 et début 2020 sur la recherche du bon environnement professionnel et la reconversion, à la demande de nos participants. Mais la crise sanitaire semble avoir exacerbé ce besoin », explique Julie. « Après, entre les idéaux, les envies, le besoin profond et sincère d’un changement, et le passage à l’acte, il peut y avoir un gouffre !».

La mobilité : pourquoi ? 

Qu’en est-il depuis la levée d’écrou ? Nous sommes sortis de chez nous. La crise sanitaire semble s’éloigner au fil des semaines, les indicateurs de la pandémie repassent au vert, mais un autre nuage vient ternir l’horizon. Celui d’une crise économique de très grande ampleur en termes de durée et d’impact, et qui pourrait ébranler fortement le marché du travail. De quoi hésiter à tout plaquer et attendre que ça passe ? Ou l’occasion de faire preuve d’opportunisme ?

« J’ai notamment pu échanger avec deux candidats habitant Paris pour un poste sur Lyon », ajoute Aude. « Confinés avec des enfants en bas âges, ils m’ont dit qu’ils souhaitaient améliorer leur qualité de vie et qu’ils ne voulaient surtout pas se retrouver dans des conditions similaires en cas de nouveau confinement. Pour autant, alors qu’ils se disaient prêts à revoir un peu leur rémunération pour s’aligner à la tendance régionale… ça ne suffira pas pour franchir le pas. A l’inverse, d’autres candidats étaient prêts à envisager Paris, mais en se projetant sur des rémunérations complètement hors cadre, censées justifier leur « effort » de partir en IDF ! ». Quoiqu’il en soit, le marché de l’immobilier commence à bouger et l’appel de la campagne et des appartements avec terrasse se fait sentir. Les marchés de l’emploi locaux vont s’en trouver profondément changés et les agglomérations de taille intermédiaire auront sans doute une carte à jouer.

Certains semblent trouver une alternative en changeant de statut. Faire le même métier, mais pas dans les mêmes conditions ? « J’ai eu le cas d’un candidat que j’avais contacté en direct pour un projet de poste et qui était en recherche d’emploi. Il a décliné mon offre en m’expliquant qu’il ne souhaitait plus être salarié et m’a invité à proposer ses services en freelance à mon client », se souvient Julie. « J’ai d’autres candidats qui sont en quête de valeurs partagées, désireux de rejoindre des réseaux coopératifs ou des PME qui s’orientent vers du 100% « made in France »».

Le cabinet de conseil McKinsey anticipe ainsi une recrudescence du travail indépendant et multi-employeurs. « Au début du siècle près d’un tiers de la population était freelance, et ensuite on a évolué vers le salariat après la deuxième guerre mondiale. Aujourd’hui, la technologie permet d’être multi-employeurs, mais la question d’une protection sociale efficace se pose », explique Eric HAZAN, Directeur associé du cabinet, au magazine l’Usine Digitale.

Un marché du travail en mutation

Les rapports de force vont sans doute s’inverser sur le marché du travail. Devant faire preuve de souplesse en attendant que passe l’orage, beaucoup d‘entreprises vont se tourner vers les contrats courts ou l’intérim, pour s’adapter rapidement aux aléas d’une économie qui va vraisemblablement reprendre en dents de scie durant les 24 prochains mois. Mais le marché du travail était déjà aux prises avec une multitudes de petites révolutions avant la crise sanitaire (à lire ici).

Les métiers en tension, ceux qu’on qualifie de « pénuriques », offriront toujours de belles opportunités à saisir. Surtout si le projet de relocaliser certains outils de production devait se concrétiser dans les années à venir, car le besoin en compétences s’en trouvera accru. Mais pour la plupart des métiers de moindre technicité, le rapport de force pourrait s’inverser.
Le développement massif du télétravail s’accompagnera lui aussi de changements profonds, liés à l’automatisation d’un certain nombre de tâches et aux innovations numériques. McKinsey estime que plus de 375 millions de travailleurs (14% de la population active mondiale) pourraient ainsi être amenés à changer de métier d’ici 2030. Un écho évident à la dernière révolution industrielle, qui a vu le remplacement de la moitié des travailleurs par des machines en 30 ans…

Néanmoins, ceux qui s’ennuyaient vraiment ou qui étaient en souffrance au travail ne vont pas renoncer à bouger. « Il faut tout de même se rendre à l’évidence : beaucoup de métiers ont changé en profondeur au cours des dernières années, et certains de ceux qui les avaient choisis par vocation ne s’y retrouvent plus vraiment. Je pense notamment à la fonction RH. J’ai plusieurs candidats dans mon réseau qui souhaitent quitter leur poste pour changer de métier. La crise sanitaire, économique – et sans doute sociale –  que nous rencontrons met vraiment à mal ces fonctions, souvent très mobilisées, sur des enjeux particulièrement larges et complexes. Cela génère un grand épuisement moral et beaucoup de frustration chez ces professionnels, car il leur est très difficile de jouer pleinement leur rôle, de préserver l’équilibre entre la (sur)vie de l’entreprise et le bien-être humain, dans ces contextes », explique Mathieu. « Beaucoup souhaitent exercer leur métier autrement. On fait aussi ce constat dans d’autres métiers. Certains managers sont lassés de ne faire que du reporting et de manipuler des tableaux Excel toute la journée. Ils voudraient investir leur énergie et leur temps dans des missions plus opérationnelles, avec de l’humain. Et du sens. »

Et Julien d’ajouter : « C’est d’ailleurs parce qu’on a de plus en plus de candidats qui nous font part de leur souhait de changer d’horizon et qui nous demandent conseil pour déterminer l’environnement professionnel et les conditions de travail qui leur correspondraient le mieux, qu’on a décidé de mettre en place l’Accompagnement de projet professionnel ».


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Photo : Pixabay

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