ITW HAE / Gilles PERNATON : Chaque mission est unique et débute avec l’humain

Temps de lecture : 8 min
Gilles PERNATON - POKKA

Interview du 1er juin 2021

Après avoir exercé une activité de conseil au sein d’un « Big Five », puis occupé des fonctions opérationnelles à la tête de Directions Financières en entreprise, Gilles PERNATON a fondé la société Pokka en 2007. Il en est aujourd’hui le dirigeant et anime son équipe, composée de 4 personnes. Pokka a pour mission d’accompagner les Dirigeants actionnaires majoritaires d’entreprises dans des phases complexes, qu’elles soient managériales, organisationnelles ou financières, dans des contextes de fort développement ou de restructuration.

Quel regard portez-vous sur l’année écoulée ?

Gilles PERNATON : Ma position de conseil extérieur m’offre plusieurs niveaux de lecture de cette année 2020, et plusieurs niveaux de compréhension et de perception de la situation actuelle. Ce qui me parait clair, c’est que nous avons tous été impactés : nos clients, nos partenaires mais aussi nous-même chez Pokka, individuellement et collectivement.
Je crois que la plupart des personnes qui ont une activité de conseil ont pu faire ce constat : nos clients nous ont sollicités très régulièrement pour des échanges plus longs, plus « profonds », et les liens humains s’en sont trouvés naturellement renforcés. Dans de telles périodes, notre métier de conseil et d’accompagnement trouve toute sa dimension, fait vraiment sens. En revanche, et assez naturellement, s’agissant de nouveaux contacts, sans vécu antérieur fort, les échanges ont été plus difficiles à développer et faire vivre.

Comment s’est organisée la vie chez Pokka ?

Gilles PERNATON : Lors du premier confinement, nous avons opté pour 100% de télétravail. Depuis, ce mode d’organisation reste prépondérant, avec une très large liberté de gestion des emplois du temps et des lieux de travail laissée à chacun, ce que notre taille limitée et notre proximité humaine facilite. Néanmoins, cela a perturbé les dynamiques internes et fragilisé l’équipe et les liens qui nous unissent : plus de temps d’échange autour d’un thé ou d’un café, plus de repas en commun autour d’une bonne table, plus de ces moments de partage des petits riens de la vie. Ne se voir que par Zoom, c’est un peu sec, et limité. Aujourd’hui, nous sommes conscients qu’il nous faut nous retrouver physiquement autour de notre projet, avant que les relations ne s’étiolent et ne soient réellement affectées. Je ne pense pas que tout redeviendra « comme avant », et je ne le souhaite pas d’ailleurs ! A nous, collectivement, d’imaginer notre projet et notre mode d’organisation de demain. Tout comme nos clients, dont nous partageons ainsi, à notre échelle, les préoccupations et les enjeux. Pour ce qui est de notre activité à proprement parler, elle est demeurée globalement stable, structurée autour de missions d’accompagnement longs termes de groupes et de projets. L’activité « restructuration » s’est elle aussi maintenue, à un niveau toujours élevé au regard de notre taille, mais sans explosion des dossiers entrants, comme certains ont pu nous le prédire.

Pouvez-vous préciser la typologie des entreprises que vous accompagnez ?

Gilles PERNATON : Nous intervenons principalement auprès d’ETI/PME/PMI en fort développement, dans des secteurs très variés et qui, globalement, se portent plutôt bien mais rencontrent néanmoins des problématiques organisationnelles, financières, de gestion ou de gouvernance dans des contextes divers (transmission intergénérationnelle, évolution actionnariale, croissance externe majeure…).

L’activité de restructuration couvre elle aussi un large spectre de situations, allant de difficultés ponctuelles, souvent managériales et/ou financières, à des situations beaucoup plus difficiles et « plus que compromises », nécessitant des évolutions internes drastiques et douloureuses, mais qui, si elles sont maitrisées et efficacement accompagnées, peuvent s’avérer salvatrices.

Dans tous les cas, c’est l’attention à chaque dossier, avec une implication très forte et rapprochée auprès des clients qui fait la singularité de notre intervention. Aucun schéma a priori ni aucune méthodologie préconçue ne sont imposés. Chaque situation est analysée en tant que telle avec une attention particulière portée au contexte humain. Pas de « prêt à porter », uniquement du « cousu main » !

Vous êtes un peu un « homme de l’ombre », vous ne communiquez quasiment pas sur votre société ou sur vous, comment travaillez-vous ? Quels sont vos réseaux, vos axes de développement ?  

Gilles PERNATON : Notre page LinkedIn, ce sont nos clients ! Je ne connais pas de meilleure porte d’entrée auprès d’un nouveau contact, ni de meilleurs ambassadeurs : ils nous ont vu travailler et savent mieux que nous – et que toute autre communication plus formelle – faire passer ce que nous leur avons apporté. Nous sommes souvent amenés à intervenir dans des situations tendues, impactant le dirigeant non seulement à travers son groupe mais aussi sa vie privée. Pour être efficace, il faut très vite dépasser les barrières classiques liées à une relation nouvelle et aborder les vraies problématiques, qui peuvent être très personnelles, intimes, douloureuses parfois. Le lien de confiance immédiatement créé par la recommandation appuyée d’un ami lui aussi chef d’entreprise permet bien souvent de sauter des étapes, de gagner du temps et donc d’être plus efficace. Et d’imaginer des pistes de solutions plus adaptées, en toute discrétion et indépendance.

Après plus de trente ans d’activité et autant d’expériences très diversifiées, y compris sur des périodes longues, j’ai aujourd’hui le sentiment de réellement pouvoir apporter à mes clients des solutions à leurs problèmes, souvent même au-delà – ou différemment – de ce qu’ils s’étaient imaginé pouvoir recevoir. Nombre d’entre eux sont devenus des amis, avec qui il fait bon régulièrement « se poser » et échanger, suivre et accompagner le développement de leur projet et de leur vie professionnelle. C’est, avec l’équipe Pokka, mon principal facteur de motivation.

Comment les entreprises que vous avez accompagnées au cours de l’année 2019 ont-elles affronté la crise sanitaire ?

Gilles PERNATON : Au quotidien, les réactions ont été assez différentes, tous secteurs confondus. Certains dirigeants ont résisté à la mise en place du télétravail, qui n’était pas dans leur culture. Il y a aussi eu des anti-masques… Certains bloquent là où d’autres s’adaptent très vite et, souvent, plutôt que de se demander comment l’Entreprise a géré la crise, il faut observer comment le chef d’entreprise l’a gérée… Et il y a presque autant de situations que de dirigeants !

Avez-vous vu les demandes d’accompagnement augmenter en 2020 ? Est-ce qu’un type de demande ressort plus que les autres ?

Gilles PERNATON : Plus que des demandes d’accompagnement dans l’urgence, j’ai ressenti un profond besoin de contact. La nécessité d’échanger, de confronter des visions, de s’informer aussi sur les bonnes pratiques, les bons réflexes à avoir. L’accompagnement à la mise en place de Prêts Garantis par l’Etat nous a ponctuellement fortement mobilisés ; sinon, je n’ai pas noté d’évolution particulière dans la typologie des missions que nous avons menées.

Quel est le moral des dirigeants d’entreprise actuellement ?

Gilles PERNATON : La crise sanitaire a été un révélateur, voire parfois un accélérateur. Elle a mis au jour d’importants écarts dans la capacité des entreprises à s’adapter, à réagir. Certaines sortiront de la crise beaucoup plus rapidement que d’autres, et notamment dans les secteurs qui ont été moins impactés. Pour d’autres, je pense au Tourisme, au Transport Public de Voyageurs, au secteur de la Montagne ou à l’Hôtellerie par exemple, l’avenir reste incertain.

De façon assez schématique, ceux qui allaient bien ante Covid vont pour la plupart bien ; et, à l’inverse, ceux qui étaient déjà en difficulté vont réellement mal et perdent beaucoup. Maintenant cela n’est pas si simple, car cette crise a réellement rebattu les cartes dans certains secteurs, à tel point que des choix stratégiques qui paraissaient très pertinents avant la pandémie se révèlent très pénalisants aujourd’hui. Je pense notamment à des croissances externes pour lesquelles les actifs acquis sont quasi à l’arrêt ou très fragilisés, alors que les dettes d’acquisition restent encore largement à rembourser.

Comment se positionnent les investisseurs, les banques ? Quelle est votre perception du marché économique français / européen ?

Gilles PERNATON : J’ai le sentiment qu’il y a aujourd’hui des personnes ou des structures qui sont prêtes à investir. L’activité de private equity* reste très active et les valorisations importantes. L’argent est là, mais ce qui est complexe, c’est de trouver les bons projets et d’avoir la bonne personne pour les manager !

Les mesures prises par le gouvernement ont permis d’éviter des dépôts de bilan massifs et beaucoup de licenciements. Mais, en sortie de crise, il faut redoubler d’efforts pour accompagner des changements profonds. Dans beaucoup de secteurs d’activité, la crise sanitaire a amplifié et accéléré des évolutions que l’on pouvait pressentir, sans toujours en percevoir l’imminence. Aujourd’hui, c’est à des changements de paradigmes que nous assistons, avec des bouleversements de marché, de modes de consommation, de technologies. Ce qui, bien souvent, nécessite des modifications profondes d’organisation, de gouvernance et de management, mais aussi de pilotage financier… Si les coûts fixes de l’entreprise ne sont pas trop élevés et si l’endettement antérieur n’est pas trop important, la gestion de cette phase de mutation/adaptation est globalement prenante, motivante et jouable. On en revient à la question des choix passés qui déterminent la position actuelle des acteurs économiques, et les perspectives qui peuvent s’envisager. Chaque cas est unique ! Heureusement, les banques jouent le jeu et, pour l’essentiel, démontrent une vraie volonté d’accompagner leurs clients historiques, y compris dans la difficulté.

Quelles projections pouvez-vous formuler pour l’année en cours ? et 2022 ?

Gilles PERNATON : Mon souhait, c’est d’avoir du temps et l’opportunité de construire et d’accompagner de beaux projets. Pokka, c’est une aventure humaine avant tout, que j’envisage sur le long terme. Les clés de la réussite selon moi ? En tant que structure, il faut savoir rester agile, souple et flexible ! Maintenir un haut degré d’exigence, pour l’ensemble des membres de l’équipe mais aussi pour moi-même, techniquement mais aussi en termes d’implication et de motivation. Faire toujours passer l’intérêt du client avant toute autre considération. Et garder optimisme et bonne humeur !

*prise de participation dans le capital de petites et moyennes entreprises en manque de financement, avec, pour les investisseurs, le but de revendre pour réaliser une plus-value.

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