ITW HAE / Etienne GUICHARD : KERAKOLL France face à la crise sanitaire

Temps de lecture : 7 min
Etienne GUICHARD

Interview du 13 mai 2020, réalisée par Mathieu LIGER

Etienne Guichard, vous êtes le Directeur Général de la filiale française du groupe industriel KERAKOLL, leader de son secteur en Italie et fortement implanté dans toute l’Europe.

Spécialisé dans la production et la commercialisation à l’international de mastics d’étanchéité destinés au secteur du bâtiment, le groupe promeut une nouvelle approche de la construction à faible impact environnemental et se positionne en leader mondial dans le domaine des solutions de GreenBuilding.

Vous vendez vos produits dans le monde entier et affichez une croissance de près de 40 % en 2019, quelle est la situation de KERAKOLL aujourd’hui ?

Etienne GUICHARD : depuis le début de la crise du Covid-19, l’activité a été divisée par deux en termes de Production et de Vente. Cela touche tous les niveaux du marché, tant la partie domestique que l’export, et notamment au niveau européen. Tous les secteurs clients ont été fortement impactés. On note aujourd’hui une reprise des clients européens, et notamment français, mais elle est lente et on ne sait pas quel niveau elle va atteindre, ni quand.

En tant que PME/ETI, on a quand même une petite marge de manœuvre. Si le marché va mal, on peut espérer grandir en gagnant des parts de marché. Etre une petite structure dans un marché en régression est plus avantageux que d’en être un acteur majeur. L’enjeu est donc d’être performant au niveau commercial…

Notre politique d’innovation est aussi un réel avantage et elle porte ses fruits aujourd’hui. Un nouveau produit était prévu à la distribution chez nos clients fin mars et nous venons de le mettre sur le marché, en avril 2020. Il s’agissait à l’origine d’un complément de gamme, mais, dans ce contexte, cela  nous permet de retrouver une dynamique et d’être « agressif » sur le marché. Nos commerciaux pourront aller voir les clients avec du positif. En termes d’image et de moral, c’est très important.

Justement, quels ont été et quels sont les impacts de cette crise sur les équipes ? Quelles mesures avez-vous adoptées ? Est-ce que vous en retirez du positif ?

Etienne GUICHARD : La maison mère italienne nous avait prévenus 15 jours avant, on a donc eu une petite latitude pour organiser le télétravail et tous les collaborateurs étaient équipés. Nous conservons ce fonctionnement jusqu’à fin mai, puis il nous faudra préciser l’organisation pour juin, selon la situation de chacun. Les locaux sont grands, donc concernant un retour au bureau et le respect de la distanciation, il n’y a aucun souci.

Les commerciaux de terrain, qui allaient régulièrement à la rencontre de leurs clients avant le confinement sont ceux qui ont été les plus frustrés durant le confinement, certains contacts étaient rompus et les leviers d’approche ont été très restreints. Ils reprennent leurs activités aujourd’hui avec beaucoup de motivation, et c’est une très bonne chose.

Nous avons maintenu une partie de notre activité de production, en protégeant les personnes les plus âgées et les plus fragiles, et en évitant que les équipes se croisent, pour limiter autant que possible les rassemblements. Dans les ateliers, on a mis en place un cadre très sécurisé au niveau sanitaire, avec des masques, des gants et des distributeurs de gel hydroalcoolique. On a démonté des portes et installé des protections en plastique sur les claviers des ordinateurs et des machines.

La première semaine a été difficile, surtout moralement. Tout le monde avait peur, et c’est normal. Mais l’organisation s’est rapidement rodée. Je pense que c’est en grande partie parce qu’on a maintenu une très forte communication entre la Direction, les managers et les équipes, et donc une très forte proximité et beaucoup d’écoute. De manière générale, le fait d’appartenir à un groupe est une aide précieuse. Beaucoup de choses ont été mutualisées en termes d’organisation et de processus. Nous avions, entre DG, une visio-conférence tous les vendredis, notamment sur la dimension commerciale. Le support de l’IT a évidemment été très fort. On avait fait des essais en amont assez démoralisants… on s’en est finalement très bien sorti grâce à eux !

On remarque que ceux qui avaient continué de venir travailler ont gardé le rythme, les autres reviennent avec un peu d’appréhension. Toutes ces mesures génèrent quand-même un certain inconfort et une certaine angoisse…

Si je devais en retenir quelque chose de positif, je dirais que cette expérience nous aura permis de changer notre regard sur le télétravail, notamment pour ceux qui n’y étaient pas forcément favorables… Sa généralisation a rapidement permis d’en voir les limites et les avantages. Je pense que nous aurons sans doute plus de demandes à terme, auxquelles nous saurons mieux répondre !

La modification de certains de nos process internes a aussi eu un impact sur notre consommation de papier ! Notamment le service commercial et le service client, qui ont digitalisé certaines pratiques.

Sur un axe plus léger, nous avons mis en place de nouveaux rituels à différents moment de la journée, pour les télétravailleurs. Le matin, un temps d’échange commun, des pauses café ou des micro-réunions à 2 ou 3 dans la journée, pour ceux qui le souhaitent. Cela demande une petite coordination supplémentaire, mais c’est important et ça s’est bien passé.

Comment percevez-vous le marché aujourd’hui ? Comment se porte votre secteur ?

Etienne GUICHARD : Beaucoup de nos clients ont encore l’espoir de rattraper les pertes durant l’été, en réduisant ou supprimant la fermeture du mois d’aout, nous devons donc trouver des solutions pour les accompagner au mieux. Il a été convenu que nous ne fermerions pas les activités commerciale et logistique, et que nous maintiendrions une livraison sur stock durant cette période. En plus du maintien du Customer Service en août, l’équipe de maintenance va être renforcée pour travailler sur les flux (la gestion des commandes et le chargement). En revanche, pour la Production, on ne veut pas mettre en place une continuité, car il y aura une trop grande fatigue.

Nous visons donc une montée des stocks sur les produits KERAKOLL en juin et juillet pour être prêts sur l’ensemble de l’été. Pour les autres produits, il y aura sûrement un arrêt car il y aura moins de stock. Dans l’ensemble, nous sommes sur un axe dynamisant et positif, avec des prises de part de marché potentielles.

Selon vous, comment votre secteur va-t-il évoluer dans les semaines, les mois ou l’année à venir ?

Etienne GUICHARD : A court terme, on va revenir sur un niveau d’activité assez correct et assez proche de ce que nous avions prévu de faire, avec le suivi des chantiers et des engagements en cours. A moyen terme, c’est-à-dire 6 mois à un an, nous devons attendre une reprise de la confiance… C’est plus difficile à évaluer, donc ça rend la projection très compliquée !

A plus d’un an, certains pays seront encore très impactés, aux prises avec des retombées dans de nombreux secteurs. Nous prévoyons une chute d’activité, notamment sur tous les chantiers liés au tourisme et au secteur hôtelier. Il y aura moins d’investissement dans les infrastructures,
que ce soit en rénovation ou en création, et les investissements non-réalisés en 2020-2021 vont engendrer une baisse globale d’activité dans notre secteur.

D’après vous, quelles seront les principales conséquences de cette pandémie sur le marché de l’emploi,  sur votre activité, sur les Hommes ?

Etienne GUICHARD : L’ouverture du chômage partiel a énormément aidé, notamment pour certaines structures qui seraient parties sur des décisions trop hâtives. Mais si le marché ne reprend pas au-delà de 75 % de celui de l’année dernière sur la même période, il y aura un vrai problème.  L’objectif est d’éviter les effets de 2008 et de ne pas se mettre en danger sur les trois années à venir. Il nous faudra être agile tout de suite avec les bonnes stratégies.

A quel(s) défi(s) majeur(s) allez-vous faire face dans les mois/années à venir ?

Etienne GUICHARD : On a d’abord dû travailler sur la communication. En période de crise, il faut la faire évoluer très vite, car elle peut être très anxiogène, pour l’Homme comme pour le marché. Au début de la crise, nous avons décidé de débrancher les écrans de la salle de repas. Cela alimentait une telle psychose… Sans faire de la désinformation ou être dans le déni, évidemment ! Si la communication est difficile, si elle manque de fluidité, on note rapidement un retrait de la consommation. Ces deux sphères sont très imbriquées.

Pour l’activité à proprement parlé, le défi majeur est avant tout commercial. Il tient à un suivi optimal de nos clients, à notre capacité à changer nos méthodes et à notre faculté à trouver nos avantages concurrentiels. Cette crise sera une opportunité pour ceux qui peuvent et savent s’adapter : si nos clients ouvrent en août nous serons là ; si les quantités demandées sont réduites pour des problèmes de trésorerie, on adaptera nos livraisons !

Comment se passe votre reprise d’activité ?

Etienne GUICHARD : l’Italie a repris le 4 mai et la France le 11 mai, mais cela n’a pas changé grand-chose dans les faits. La véritable échéance est fixée à début juin. Nous avons organisé une rotation des effectifs dans les locaux, mis en place des mesures d’hygiène renforcées. Il n’y a plus qu’à !

Recevez les dernières directement dans votre boîte email.