Le difficile métier de candidat

Temps de lecture : 6 min
la santé mentale des candidats

9h : je m’installe à mon poste de travail et discute de la semaine qui s’annonce avec mes collègues recruteurs. Des recrutements qui s’éternisent, des ruptures de périodes d’essai, des candidats* qui disparaissent et des annonces qui restent sans réponse – à les entendre « c’était mieux avant ». Les rôles se seraient-ils inversés ? Les candidats seraient-ils devenus des « divas » inaccessibles ? 

18h : de retour chez moi, je discute avec ma colocataire. Diplômée d’un master 2, bilingue, elle vient d’essuyer un nouveau refus après plus de 6 mois de recherche. Entre pression parentale et angoisses personnelles, elle se sent à la merci des recruteurs.

Ce paradoxe quotidien m’interroge sur le marché de l’emploi actuel et la perception qu’en ont les candidats en recherche active. J’ai donc mené mon enquête auprès des consultants Humanae et des candidats qui ont assisté à nos « Ateliers du vendredi »**.

Le plein emploi, vraiment ?

Lorsque l’on évoque le chômage, les chiffres parlent d’eux-mêmes : seulement 7.2%, soit 2,2 millions de personnes sont concernées sur le territoire national (hors Mayotte) au quatrième trimestre 2022. Au sein du cabinet, les consultants sont unanimes : les candidats deviennent une « denrée » rare. Avec un taux de réponse à annonce à peu près équivalent au taux de chômage actuel, l’approche directe devient prédominante dans nos pratiques de recruteurs. Le candidat, quant à lui, ne jette pas son dévolu à la légère. Une entreprise convoitée depuis longtemps, un poste correspondant parfaitement à des aspirations professionnelles – il attend le bon moment et n’hésitera pas à laisser passer les opportunités les moins attrayantes.

Peut-on alors parler de « candidat roi » ? C’est un discours difficile à tenir devant des personnes en recherche depuis plusieurs mois, découragées par un trop grand nombre de refus et qui poussent parfois la porte de notre cabinet avec défiance (pour ceux qui acceptent encore de se déplacer pour nous rencontrer…).  « Dans les faits, c’est bien un moment favorable aux candidats, mais dans la pratique, cela ne se reflète pas sur mes recherches d’emploi » déclare Camille**. En réalité, aucune des personnes interrogées ne ressent l’effet de ces chiffres dits « historiques ». La plupart critiquent un manque d’opportunités pour des postes de cadre supérieurs et dénoncent un marché favorable uniquement aux jeunes profils. « A 57 ans, il ne faut pas se mentir, on n’est plus aussi bankable » ajoute Paul. Si le marché actuel semble pencher en faveur des candidats, rares sont ceux qui se montrent optimistes quant au lendemain.

Une surenchère anxiogène

Si le taux chômage est si faible, si les entreprises ont tant de postes vacants et s’il suffit de « traverser la rue », alors pourquoi est-ce que je ne trouve pas ?! C’est la question que peut légitimement se poser un candidat en recherche depuis de longues semaines. Il y a ceux qui cherchent depuis longtemps, mais aussi ceux qui s’interrogent sur le sens de leur travail, qui souhaitent lancer leur projet ou changer de voie. En effet, le climat actuel tend à favoriser l’entrepreneuriat, les startups et les nouveaux métiers liés au succès des réseaux sociaux ou de l’intelligence artificielle. Un champ des possibles infini dans lequel tourbillonne le candidat, noyé sous le flot de posts LinkedIn « motivants » des millennials en full remote aux Maldives. Mais quid des candidats qui n’ont pas un seul mais DES projets, ceux qui ne rentrent dans aucune case, ou ceux qui ne souhaitent pas s’écarter d’un chemin plus classique ? A trop encourager l’énergique et l’entrepreneur, on exclut et dévalorise les autres profils.

Toutefois, ne diabolisons pas les réseaux sociaux, qui sont des outils précieux pour développer un réseau, déconstruire des idées reçues, ou croiser des témoignages pertinents en période de recherche. Restons simplement conscients qu’ils ne sont aucunement représentatifs de la majorité… (ou de la normalité !)

Composer avec le silence du recruteur

Et les cabinets dans tout ça ? S’ils ont pour objectif de faire le lien entre recruteurs et candidats, ils sont souvent la source d’un mélange d’espoir et d’agacement pour ces derniers. « Trop de recruteurs ne rappellent jamais, même après avoir été à l’initiative de la prise de contact, » déclare Laure. Si l’on a été directement contacté, il est normal de se sentir lésé lorsque le process piétine ou que l’interlocuteur se mure dans le silence. Vient alors le fameux mail de refus : celui que l’on redoute et que l’on reconnaît sans même l’ouvrir. Tantôt formatés, tantôt personnalisés, sincères ou expéditifs, mais à minima polis, ils restent des oiseaux de mauvais augure pour la motivation du candidat. Et lorsque le mail ne vient pas, c’est peut-être encore pire : l’attente entretient l’espoir et fait regretter au candidat d’avoir pris le temps de mettre à jour son cv et de rédiger sa lettre de motivation.

Des montagnes russes

Pour Arnaud, spécialiste des mobilités et transitions professionnelles chez Humanae, la période de recherche d’emploi est un moment que l’on peut qualifier de « phase de transition ». Période bénéfique pour certains, elle donne la possibilité de se challenger, de s’ouvrir à de nouvelles perspectives. Ainsi, Lola déclare : « j’associe cette période à quelque chose de positif, car je me forme, je rencontre des personnes intéressantes. » Mais c’est aussi et surtout, une phase d’insécurité, d’incertitude.

Pour d’autres, on va jusqu’à parler d’une vraie période de deuil, qui suit la perte – parfois violente – d’un emploi. Si cette phase de transition met, par essence, le candidat dans une position de fragilité, la recherche, elle, ne fait qu’accentuer cette perte de contrôle. Comme pris dans des montages russes, le candidat alterne entre entretiens, réponses négatives, contact de recruteurs, silence de l’entreprise. Même engagé dans un process, le temps, plus relatif que jamais, s’étire et affecte la confiance en soi du candidat. « J’ai peur de ne pas trouver de poste, et encore moins LE poste répondant à mes envies/projets. J’ai le sentiment de ne pas être à la hauteur des attendus, de dépendre d’une tierce personne qui me juge », confie Fabrice.

La recherche d’emploi inverse les rôles, elle fait fi du niveau hiérarchique ou du périmètre de responsabilité. Chercher un nouveau poste c’est souvent renoncer à être totalement maitre de son projet et dépendre de l’organisation, des besoins, du jugement de tierces personnes. Dans ce contexte, aider un candidat ne se résume pas à lui proposer de travailler sa lettre de motivation ou son cv, c’est aussi prendre en compte ses besoins psychologiques.

 

Si la santé mentale des employés devient un sujet central pour les entreprises qui travaillent leur QVCT, et si l’on voit apparaître des startups ou des formations spécialisées en santé mentale (formation PSSM), celle des demandeurs d’emploi reste un sujet assez peu médiatisé. Le cabinet YAGGO réalise actuellement une enquête sur ce sujet – une démarche qui mérite d’être soulignée et dont nous sommes curieux de lire les résultats !

De notre côté, nous nous efforçons de mettre en œuvre une approche personnalisée du recrutement, partant du principe que notre métier est de conseiller tant nos clients que nos candidats. Les « Ateliers du vendredi »** sont pour nous l’occasion de mettre notre connaissance du marché et notre vision d’intermédiaire du recrutement au service de candidats qui ont parfois du mal à trouver des points d’appui sur lesquels se reposer. L’arrivée d’Arnaud et la création d’HUMANAE MOBILITÉS n’ont fait qu’affirmer notre conviction : un cabinet peut accompagner autrement !

 

M. Duboys des Termes


NDLR : Certains candidats souhaitant rester anonymes, nous avons utilisé des prénoms factices pour intégrer leurs réflexions.

* Le terme « candidat » est utilisé dans cet article de façon générique, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme.
** Comment ?! Vous n’êtes pas au courant ? Humanae anime un cycle de 6 ateliers thématiques gratuits à destination des candidats de son réseau, pour les accompagner dans leur parcours de recherche et faciliter la mise en relation et la création d’un réseau.

Sources :
INSEE
POLE EMPLOI
FREEPIK

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