Le recruteur du futur sera-t-il un avatar à cravate ?

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metavers

Métavers, multivers, réalité virtuelle, ces mots raisonnent peut-être dans votre esprit sans pour autant leur trouver de réelle définition. Rangez vos capes ! Le multivers, cette théorie faisant coexister une infinité de mondes parallèles et mine d’or pour les franchises de superhéros, n’est pas le sujet de notre article du jour. Le métavers en revanche, ce pur concept, ce monde dénué de limites et de frontières et accessible à qui voudra bien investir quelques milliers, voilà qui éveille l’intérêt des recruteurs (et des candidats !) en quête de nouvelles sensations.

Méta-quoi ?!

Mentionné pour la première fois en 1992 par Neal Stephenson dans son livre Le samouraï virtuel, le métavers est voué à remplacer le terme de « réalité virtuelle », inadéquat selon l’auteur. Contraction de « meta » et « univers », il symbolise la réunion du monde numérique et du monde physique et promet une immersion sans pareille pour l’utilisateur. Le métavers dépasse en effet les limites du monde virtuel connu (ce bon vieux World Wide Web) grâce à la fusion des possibilités du jeu vidéo, des réseaux sociaux, du e-commerce ou encore des places de marché.

Ce nouveau terrain de jeu au potentiel hautement lucratif attise naturellement l’intérêt des plus grandes entreprises. La crise sanitaire et le recours massif au télétravail avait déjà fait débat dans les services RH ? Le métavers ouvre un champ des possibles infiniment plus grand, qui pourra fortement impacter la vie des salariés, et les usages dans le recrutement.

Une évolution qui fait sens

Ceux qui suivent de près cette (r)évolution savent qu’elle a déjà coûté la modique somme de 10 milliards de dollars à Papa Méta (M. ZUCKERBERG himself), qui a investi cet argent de poche dans sa plateforme dédiée, Horizon. Déclinée à toute les sauces, elle est censée répondre aux besoins élémentaires de l’humain 4.0 : Horizon Home pour inviter des potes, Horizon Worlds (qui a fusionné avec Horizon Venues) pour assister à des spectacles, pogoter en concert ou se trémousser sur le dancefloor virtuel, et (roulements de tambours…) Horizon Workrooms, la salle de travail virtuelle !

Ça vous paraît dénué de sens ? Vous ne vous sentez pas concerné·e ? Vous pensez que Méta adresse ses projets à une certaine « élite du numérique » ? Eh bien préparez-vous ! Nous assistons à l’évolution logique d’un monde qui se digitalise de jour en jour.

Il n’est pas si lointain, le temps où l’on publiait ses petites annonces dans la rubrique « emploi » du quotidien local ! L’arrivée d’internet puis, plus tard, d’une multitude de jobboards avait mis un point final à cette rubrique (et à beaucoup d’autres…). Aujourd’hui, ce sont les réseaux sociaux qui tiennent le haut du pavé pour la diffusion d’offres et l’approche de candidats.

Du journal au smartphone, il n’y a eu qu’un pas. Le prochain nous dirige-t-il droit dans le mur virtuel de la Workroom ? Le métavers semble devenir le lieu incontournable des recruteurs de demain. La crise sanitaire avait déjà démocratisé l’usage de la visioconférence, remplaçant la salle d’entretien par un fond vert aux couleurs corpo’ et la traditionnelle poignée de main par un « vous m’entendez bien ? » hésitant. Le recrutement dans le métavers ne serait donc rien de plus que le prochain virage à prendre. Certaines entreprises l’ont compris et investissent pour se tailler la part du lion. Méta, bien entendu, Microsoft, avec son casque de RV et Mesh pour Teams (les avatars débarquent bientôt dans vos visio), Samsung, MacDonald’s, Tik Tok, Youtube… Le trio gagnant est à ce jour Nike, qui a réalisé 140 millions d’euros de chiffre d’affaires dans le metavers, suivi par Gucci et Adidas. Bref, que du beau linge !

Recruteurs, vous en êtes ?

Mistertemp’ est la première agence d’intérim à avoir fait l’acquisition d’un « terrain » sur le métavers. En France, c’est le groupe Carrefour qui a fait figure de pionnier du « méta recrutement » en organisant sa première session d’entretiens sur le métavers, en mai dernier. Cette initiative, saluée par certains et moquée par d’autres, avait pour objectif de repérer et d’attirer des profils techniques, très courtisés en ces temps de guerre des talents. Plutôt qu’un nouvel outil recruteur, le métavers s’utilise ici comme une stratégie de marque employeur. A l’image d’Armstrong plantant le drapeau américain sur la lune, certaines sociétés se targuent d’inscrire fièrement leur logo sur quelques « pixels carrés » de métavers. Exister là-bas, c’est donner l’image d’une entreprise dans l’air du temps, attirante pour des profils techniques et jeunes – les nouvelles générations Z et Alpha, facilement séduites par la nouveauté.

Alors que les recruteurs sont pointés du doigt pour des faits de discrimination ou de biais inconscients, l’avatar-candidat semble être une réponse efficace à ces problématiques. En effet, en choisissant son genre, sa couleur de peau et son style vestimentaire, modulables à l’envi, l’utilisateur devrait se prémunir de toute tentative de discrimination. Quel regard porter à un avatar paré d’un costume trois pièces et d’oreilles de lapin ?! Quel préjugé avoir lorsque les frontières n’existent plus ? Lorsque les espaces de travail ne sont plus partagés ? Lorsque toutes les langues sont traduites instantanément ?

Le risque est ailleurs. Outre le fait que seules certaines grandes entreprises auront choisi d’investir pour mettre en place de véritables processus de recrutement virtuels, le métavers creuse la fracture numérique. A l’échelle locale, le télétravail forcé a déjà révélé le manque de moyens de certains foyers, de certaines communes. À l’échelle mondiale, la nécessité d’un réseau 5G et d’équipements spécifiques rend certains pays purement inéligibles faute de pouvoir s’adapter assez rapidement et durablement à cette évolution. L’ONU précise dans son récent rapport qu’un tiers de l’humanité n’est toujours pas connecté internet. Ainsi, si 89 % des Européens sont connectés, c’est le cas de seulement 40 % des Africains…

Un nouvel Eldorado ?

De nouveaux métiers vont néanmoins devenir réalité dans les mois à venir. Selon Pierre Paperon, président de l’association France Meta, rien qu’en France on peut tabler sur 10 à 20 000 emplois liés au metavers d’ici un an, et un million dans le monde à l’horizon 2030. Des metamétiers qui vont permettre aux entreprises de se développer dans le metavers. Metacourtiers, metaagents immobiliers pour l’acquisition de vos metabureaux. Développeurs en pagaille pour « construire » vos boutiques, metaassureurs, pour assurer les biens que vous allez acquérir en NFT. Enfin, des metaavocats et des metamédiateurs pour régler les inévitables litiges… #Metavesteonsenva

L’avenir semble s’écrire avant même d’avoir assuré le présent. La marche ne suffit plus pour être attractif et compétitif et la « course à l’innovation » s’emballe. Des entreprises comme Samsung ou Meta voient dans le métavers un nouvel eldorado. Les recruteurs, à la peine depuis quelques années, pourraient y voir une aubaine inespérée pour gagner en efficacité. 

Cependant, ce serait se bercer d’illusions que de voir le métavers comme une solution concrète aux nouvelles problématiques du monde moderne. Soyons factuels : nous n’avons pas la capacité technique d’entretenir un monde virtuel aussi conséquent. Et l’impact environnemental que cela engendrerait viendrait à l’encontre d’une stratégie de marque employeur cohérente et de la plus basique des politiques RSE. Les Z et les Alphas seront là pour vous le rappeler !

Côté candidats, ça donne quoi ?

A l’image d’un scénario à la Blade Runner, le métavers reste pour le recrutement un concept futuriste qui intrigue autant qu’il questionne. Au-delà du recrutement, c’est plutôt comme un nouvel outil RH qu’il faut l’appréhender, pour une mise en situation ou un parcours d’intégration, ou comme un outil d’évaluation et de formation innovant – ce qu’expérimente en ce moment l’entreprise Mazars pour recruter ses futurs auditeurs.

Du côté des candidats, une université des Hauts-de-France propose en ce moment l’utilisation de la réalité virtuelle afin de préparer ses futurs diplômés à l’exercice ardu de l’entretien. Le métavers, eldorado pour les grands groupes, chimère pour les entreprises plus modestes, pose à tous une question cruciale : comment recruterons nous dans le futur ?

Chez Humanae, c’est un sujet qui éveille la curiosité des consultants. Devrons-nous un jour troquer nos webcams contre des lunettes connectées ? Pour l’instant, on a plutôt choisi d’investir dans des bureaux bien réels ! Plus grands, plus accueillants, pour vous recevoir et continuer à vous accompagner… autrement !
(A suivre…)

Mélisande DDT

Sources :
Les Echos | France Info | RéalitéVirtuelle.com | IntotheMinds | SiliconRepublic.com | LinkedIn
Image : Freepik

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