En poste depuis près d’un an au sein du cabinet, je pourrais comparer cet article à mon « baptême du feu ». En effet, du haut de mes 24 ans, j’ai été mandatée pour rédiger un article sur l’épineuse question des séniors dans le recrutement. Force est de constater qu’ils n’y sont pas toujours les bienvenus… Lecteurs, excusez mon audace, mais je tâcherai ici, en m’appuyant sur les témoignages des consultant·e·s Humanae, de comprendre les fondements et les manifestations de cette discrimination contemporaine.
(Partie 1/2)
Que signifie « être un senior » ? Dans le monde du travail, ce n’est pas une simple question d’âge : le terme sénior peut faire référence à des compétences, une spécialisation du collaborateur. Un consultant sénior à 30 ans, ça ne choque personne ! Car, à quel âge est-on considéré comme « sénior » dans le monde du travail ? Wikipédia évite la polémique et donne plusieurs tranches d’âge allant de 45 à 60 ans. En réalité, c’est une appellation subjective qui dépend de la personne. Dans le monde du recrutement, il devient plus difficile de mettre en avant un candidat à quelques années de la retraite. Ce constat ne surprendra pas. « Il y a 15 ans, notre carrière était terminée à 45 ans mais, bonne nouvelle, les choses sont différentes aujourd’hui », rappelle Mathieu. Une victoire relative pour le consultant qui constate que l’âge reste l’une des discriminations les plus présentes dans le monde du recrutement. La réforme des retraites, souhaitée par le gouvernement, pourrait reporter l’âge légal de départ à 64 ou 65 ans. Pour autant, entre les sexagénaires et les entreprises, ce n’est pas encore une grande histoire d’amour et la France fait office de mauvaise élève avec un taux d’emploi des 55-64 ans à 56,1 % au 4e trimestre 2021, là où l’Allemagne et les Pays-Bas culminent à 70 %.
Les entreprises sont délibérément – ou inconsciemment – attirées par les profils jeunes. Animées par le souhait d’une nouvelle impulsion, d’une dynamique plus moderne, elles perçoivent les quinquagénaires et les sexagénaires comme moins désirables. Outre leur « fraicheur », les candidats en début de carrière semblent plus « malléables », capables de s’imprégner plus rapidement de la culture d’entreprise et, au passage, de moderniser son image sur ses supports de communication. Leurs ainés, melting pot de plusieurs entreprises, seront plus enclins à partager leurs expériences. Par conséquent, certaines entreprises imposent une limite d’âge -plus ou moins assumée- dans leurs consignes de recrutement. Julien souligne avec ironie que ce sont souvent les dirigeants les plus âgés qui discriminent le plus selon l’âge. Nicolas, recruteur depuis 3 ans, compte de son côté 5 ou 6 cas de discriminations liées à l’âge sur 80 missions traitées. Néanmoins, ne jetons pas non plus la pierre aux entreprises, la plupart des discriminations sont en réalité inconscientes, sans mauvaises intentions.
Pour ce qui est des secteurs d’activité : pas de vérité absolue ! Contrairement à certains secteurs que l’on pourrait comparer à un catalogue de jouets pour enfants – poupées roses pour les filles et camions bleus pour les garçons -, il existe peu de secteurs qui se cantonnent à une certaine tranche d’âge. L’âgisme n’est pas sectoriel, mais se reflète néanmoins sur certaines typologies de postes et d’entreprises. Ainsi, les grands groupes sont ceux qui discriminent le plus, car ils ont une vision long terme et souhaitent recruter de jeunes talents à faire grandir et évoluer au sein de l’entreprise. En parallèle, certains métiers deviennent aussi plus difficiles d’accès à mesure que les années passent. Les discriminations liées à l’âge semblent ainsi particulièrement présentes sur les fonctions commerciales, des fonctions itinérantes associées à des idées reçues (grande mobilité, disponibilité, dynamisme). Au contraire, des secteurs comme la finance restent plus ouverts aux profils plus âgés, car ceux-ci cherchent des collaborateurs à l’image rassurante, fiable, et misent moins sur un besoin d’innover. Quid des start-ups ? Dans l’imaginaire collectif, elles remportent le trophée de la discrimination, car que serait une start-up sans son PDG de 27 ans, t-shirt-jeans-baskets et smoothie à la main ?! Pour autant, cette image tend à se déconstruire et de plus en plus de profils expérimentés trouvent un nouveau challenge au sein de ces jeunes pousses.
Nos stéréotypes reposent sur l’imaginaire collectif et sur notre tendance à vouloir ranger l’Autre dans une case bien définie. Ainsi, chaque génération est associée à ses propres stéréotypes : les millennials, ces éternels insatisfaits, la génération Z, accro aux réseaux sociaux, les baby-boomers, ces travailleurs acharnés… Nous nageons en pleine schizophrénie ! Les tests de personnalité, utilisés avec la volonté de déceler la singularité, se multiplient et viennent se confronter à des stéréotypes générationnels entretenus par la société et les médias actuels. Les stéréotypes associés aux quinquagénaires et sexagénaires sont caractérisés par le manque : manque de synthèse, manque d’agilité, manque de dynamisme. En France, c’est la jeunesse qui porte des valeurs positives de renouveau et de vitalité, contrairement à des cultures africaines ou asiatiques qui perçoivent leurs ainés comme des personnes sages, que l’on écoute. Pourtant, le parcours d’un quinquagénaire est synonyme d’abondance en matière d’expériences, de projets, de rencontres… Si plus âgé ne signifie pas nécessairement plus qualifié, cela sous-entend quand-même une indéniable maturité professionnelle, acquise avec les années.
Les entreprises sont parfois moins attentives à leurs discriminations lorsqu’elles ont recours à des cabinets de recrutement. Passer par un intermédiaire diminue en quelque sorte le sentiment de culpabilité. Le recruteur a alors pour mission de convaincre son client de la pertinence d’un profil, afin de dépasser la question de l’âge. On insiste sur ses années d’expérience, ses compétences et ses connaissances acquises. « Parfois, l’approche est encore plus stratégique », déclare Julie qui se souvient avoir dû évoquer les aides que pourrait toucher l’entreprise suite à l’embauche d’un candidat au chômage depuis plusieurs mois. Mais lorsque ces arguments ne sont pas suffisants, le recruteur doit changer son discours et persuader plutôt que convaincre. Passant du logos au pathos, il invoque des images rassurantes pour l’entreprise et insiste sur le dynamisme, l’engagement, la disponibilité, la motivation, les hobbies sportifs du candidat – comme pour détourner son client de l’image du vieillard blotti dans son fauteuil, avec journal et charentaises. Adrien, lui, parle d’un « dernier challenge professionnel », des mots clés positifs, synonymes d’énergie et de stabilité.
Aujourd’hui, de plus en plus de quinquagénaires et de sexagénaires parviennent à trouver un emploi à quelques années de la retraite et dans des secteurs d’activité jusque-là très frileux vis à vis des plus âgés. En pleine guerre des talents, le marché est donc favorable aux « séniors », mais pas toujours pour les bonnes raisons. En effet, recruteurs, recruteuses, entreprises, il ne s’agit plus de recruter les plus âgés par défaut, mais parce que l’on mise sur eux pour leurs qualités, comme l’on peut miser sur la jeunesse.
Ceci fera l’objet de mon prochain article…
Auteure : Mélisande Duboys des Termes