Dans notre précédent article, nous constations que les candidats plus âgés sont souvent relégués au dernier rang des cvthèques, ou perçus comme le vilain mistigri caché parmi les CV de votre recruteur. Ces profils expérimentés sont pourtant souvent la « bonne pioche » d’un recrutement, des candidats aux multiples qualités qu’il convient de valoriser. Pour autant, miser sur eux ne veut pas dire les choisir à tout prix, mais bien mettre en lumière leurs compétences et rappeler que nos ainés peuvent être un choix très stratégique en matière de recrutement.
Il serait hypocrite de considérer que les seniors sont la réponse à toutes nos difficultés de recrutement, comme il est réducteur de penser que votre nouveau Community manager de 23 ans va rajeunir votre marque employeur par sa seule présence. S’il est important de favoriser le recrutement des plus âgés, il est avant tout indispensable d’être cohérent avec le besoin initial. « La direction d’une entreprise ne peut être exclusivement composée de séniors », déclare Mathieu, « la mixité générationnelle reste l’une des clés d’une organisation opérationnelle efficiente ».
Adrien, de son côté, comprend qu’une entreprise se montre frileuse à l’idée de recruter des candidats qui approchent de la retraite mais rappelle quand-même qu’avec le recul de l’âge légal ce motif est de moins en moins valable. « A 55 ans, un salarié a encore sept années à travailler ! », ajoute-t-il. Pour mémoire, la durée moyenne d’un emploi chez les cadres était de 4.1 ans en 2019 – et la tendance semble tendre vers 3 ans aujourd’hui – alors 7 ans, c’est long !
Mais que leur reproche-t-on, dans le fond, à nos séniors ?! Un manque de dynamisme, de disponibilité pour l’entreprise ? Les plus de 50 ans ont souvent des contraintes familiales moins importantes, car leurs enfants sont grands et ils peuvent ainsi se consacrer pleinement à leurs projets professionnels. Ils seraient hermétiques aux nouvelles technologies et peu innovants ? Ils auront l’expérience nécessaire pour structurer et pérenniser les projets de transformation et de digitalisation d’une entreprise. Des attentes salariales trop élevées ? Avec des enfants devenus indépendants et des prêts remboursés, ils seront souvent prêts à revoir leurs prétentions à la baisse ou à augmenter leur part variable pour se lancer dans un nouveau projet.
Si « choisir c’est renoncer », chercher à effacer ses biais, c’est également faire fausse route. Source de toutes discriminations, les biais ne peuvent être complètement supprimés, il est donc préférable de les comprendre pour mieux les éviter. Face à un cv fourni, le regard du recruteur est attiré par la date des premiers diplômes. Comme par réflexe, il effectue un rapide calcul pour vérifier l’âge exact du candidat. Erreur. Afin d’éviter ce réflexe discriminatoire, il convient de se concentrer sur les dernières expériences et sur les compétences mises en avant dans le CV. Ainsi, le recruteur ne cède pas à la facilité : retenir préférentiellement des profils qui rentreraient dans une tranche d’âge supposée « idéale » pour un poste.
Lutter contre ces discriminations, c’est rendre ses entretiens plus objectifs, structurés autour de questionnaires construits pour un projet de poste, pour laisser le moins de place possible au hasard et à l’intuition.
Faire de nos séniors des candidats « bankables » et valoriser leurs profils est une première étape, mais il faut également leur reconnaître et leur accorder une nouvelle place au sein de l’entreprise. Postes stratégiques, management de transition : les profils aguerris s’épanouiront dans ces missions qui nécessitent expertise opérationnelle, capacité à accompagner le changement, recherche de résultats, connaissance du secteur et de la concurrence… Ces missions à durée déterminées, allant de quelques semaines à quelques années, sont un terreau fertile à quelques mois du départ en retraite. Il n’est d’ailleurs pas rare que de jeunes retraités se spécialisent dans ces missions courtes et s’installent en tant que consultant pour encore quelques années de travail.
Du côté du gouvernement, des débats sont en cours pour valoriser la candidature et le recrutement des plus âgés : quotas, compensations financières pour accepter un poste à la rémunération plus faible, contrats spécifiques – les solutions envisagées sont multiples…
Aux États-Unis, des entreprises comme BOEING, BANK OF AMERICA ou WALGREENS proposent à des personnes éloignées du monde du travail (retraités, chômeurs de longue durée) d’intervenir pour des missions ponctuelles en entreprise. Pour le travailleur, cela signifie retrouver un contact social parfois perdu au moment de la retraite ou conserver un certain épanouissement professionnel. Pour l’entreprise, c’est la garantie d’un collaborateur expérimenté et animé par une véritable envie de travailler. Ces programmes intitulés « returnship » sont donc gagnant-gagnant pour l’entreprise et le retraité. En France, ce phénomène se popularise.
Au cours d’un entretien, Nicolas a eu l’occasion de discuter du sujet avec un candidat – patron d’une business unit. Celui-ci encourageait ses anciens collaborateurs partis à la retraite à s’inscrire en tant qu’auto-entrepreneurs pour intervenir en mentorat auprès des nouveaux arrivants et ainsi transmettre leurs connaissances tout en facilitant l’acculturation des nouvelles recrues. La retraite n’est donc pas nécessairement le point final de la carrière professionnelle mais peut être le commencement de nouvelles aventures professionnelles.
Cohabitation des générations, trou d’air économique, « vieillissement » des actifs – l’évolution du marché du travail tend à mettre les séniors en lumière, à la fois comme la source et la solution. Pour autant, l’âgisme reste une discrimination omniprésente dans les processus de recrutement. Le marché du travail étant le reflet de notre société, il est difficile d’aller contre ce qui ne repose pas seulement sur les mauvaises habitudes d’un recruteur.
Au sein d’Humanae, le sujet divise : certains se montrent optimistes – presque utopistes – et présagent d’un avenir meilleur, où les pratiques évolueraient en même temps que le regard de la société. D’autres, au contraire, dessinent un futur plus pessimiste, où la digitalisation à marche forcée relèguera les moins « geeks » d’entre-nous au ban de la vie professionnelle. C’est en tout cas un sujet inévitable, qui ne peut être ignoré des cabinets comme des entreprises.
Gageons que, dans quelques années, il sera plutôt question d’attirer et de fidéliser ces fameux « séniors » …
Auteure : Mélisande Duboys des Termes
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